Le président de la République nouvellement élu a pris la décision de permettre aux salariés ayant travaillé dès l’âge de 18 ou 19 ans de partir à la retraite à 60 ans, s’ils totalisent 41 années de cotisation. Cette mesure, dite “de justice sociale”, bénéficiera en grande partie – c’est pour eux qu’elle a été promise – aux personnes ayant aujourd’hui entre 55 et 60 ans, c’est-à-dire celles qui ont commencé à travailler entre 1969 et 1975.
Disons-le franchement : cette classe d’âge n’est pas celle qui a eu le plus de difficultés pour s’insérer sur le marché du travail, puisqu’à cette époque les mots “crise” et “chômage de masse” étaient encore absents du vocabulaire courant. Elle a bénéficié, comparativement aux générations qui ont suivi, d’un marché du travail plutôt accueillant.
Le décret pourrait en outre exclure toutes celles et ceux qui ont connu des périodes de chômage ou de maladie. Cette population arrive ainsi aujourd’hui à l’âge fatidique des 60 ans, certes sans doute fatiguée par 41 années de labeur, mais avec la possibilité de bénéficier désormais de retraites pleines. Cet avantage est important au moment du départ à la retraite puisqu’il peut avoir un impact sur le montant de la pension. La DREES a ainsi calculé que le montant de la pension des nouveaux pensionnés du régime général est 8,5% supérieur au montant de la pension de l’ensemble des retraités de ce régime. L’écart est de 5,1% concernant les retraités de l’ARRCO.
Or, il y a tout lieu de penser que cet écart s’accroisse pour les générations concernées par la mesure, au regard des conditions du marché du travail favorables qu’elles ont eu à affronter. Avec cette réforme, François Hollande ne s’adresse donc pas aux Français les moins favorisés face à la question de la retraite.
La situation de tous ceux qui vont être appelés à financer ce nouvel avantage social est hélas bien différente. Il semble en effet acquis que le coût de cette mesure, estimé initialement à 5 milliards d’euros à l’horizon 2017, sera intégralement supporté par les actifs, au travers d’une augmentation annuelle de 0,1 point des cotisations patronales et salariales, soit 0,5 point sur la durée du mandat.
La “mesure Hollande” consiste ainsi explicitement à faire financer par les plus jeunes le départ anticipé à la retraite de leurs parents. A court terme, cette réforme aura deux conséquences : elle diminuera le pouvoir d’achat des actifs, qui pour la plupart sont déjà confrontés à la difficulté de financer leurs dépenses de logement ou de santé ; et elle augmentera le coût des embauches, restreignant mécaniquement l’accès au marché du travail pour les plus jeunes – qui sont déjà, comme chacun le sait, le public le plus exposé au fléau du chômage. A plus long terme, cette réforme fragilise un peu plus l’équilibre financier de nos systèmes de retraite, ce qui laisse supposer que ceux qui financent cette mesure ne pourront pas bénéficier à leur tour du même niveau de générosité publique.
Comment, dès lors, comprendre les propos tenus par François Hollande place de la Bastille ? Celui-ci demande à être jugé sur son action en faveur de la justice et de la jeunesse. Le nouvel effort qu’il propose d’entrée de jeu n’est ni juste socialement, ni favorable aux plus jeunes, comme s’il oubliait que la justice intergénérationnelle faisait partie intégrante de la justice sociale.
D’autres choix étaient pourtant possibles : le nouveau président aurait pu, par exemple, proposer de financer une partie du coût de cette mesure par un alignement du taux de la CSG reposant sur les revenus de remplacement des retraités les plus favorisés sur celle des actifs. Cette réforme aurait rapporté 2,1 milliards d’euros et aurait permis de concilier les deux objectifs annoncés du président pour ce mandat.
Souhaitons que lorsque viendra le temps des réformes, que ce soit celle des retraites que le président a déclaré souhaiter engager, celle, épineuse et urgente, de l’assurance maladie, celle de la dépendance, ou encore de la question inévitable du financement de la dette sociale, ce ne soit pas, comme ici, la jeunesse qui finance la justice sociale mais bien les aînés qui accepteront les efforts nécessaires permettant d’assurer à notre jeunesse un modèle social digne de notre pays.